Juges, avocats, procureurs, tous portent une robe au tribunal. L’origine de ce vêtement remonte au Moyen-Age.
Aujourd’hui, les confectionneurs sont sur un marché de niche et parviennent à se maintenir malgré la crise.
Derrière les vitrines de la boutique Robe de cour, située rue Emile Gilbert dans le 12e arrondissement de Paris, les appels pour des commandes s’enchaînent depuis le début de l’après-midi. Malgré le couvre-feu à 18 heures, qui est contraignant, les affaires continuent. Les conditions sanitaires font que les clients doivent prendre rendez-vous pour entrer. Cela n’empêche pas les passants les plus curieux de s’arrêter pour admirer la vitrine.
C’est ce que remarque souvent le gérant, Eric Billon, « quand des passants s’arrêtent, je vais à la porte pour discuter et les renseigner. On essaye d’entretenir le contact… ». Ce couturier de formation a démarré son activité à l’âge de 29 ans. Il en a aujourd’hui 57. Depuis 28 ans, il habille les avocats et magistrats de France. Lorsqu’il confectionne ces robes, l’homme n’a qu’un seul souhait : elle doit tenir au moins 20 ans. « Il faut faire dans la légèreté, la solidité, il faut que ce soit simple et confortable, mais aussi durable, tout en même temps. »
À chaque métier, sa robe et sa spécificité
Une idée partagée par la gérante d’une autre boutique spécialisée, rue Parmentier, dans le 11e arrondissement de Paris, « C’est un travail minutieux. Cela représente un petit marché, mais ce n’est pas comme des collants ou du parfum : mes robes doivent tenir plus de 10 ans. » explique-t-elle.
À la tête de son entreprise depuis déjà 27 ans, cette femme gère tout, toute seule, jusqu’à la confection des robes. Tout comme Eric Billon qui, néanmoins, collabore avec un autre couturier. Ces commerces sont tenus par des passionnés, férus d’histoire et connaissant tous les détails qui font l’habit du magistrat.
En laine, en soie ou encore en microfibres, la robe d’audience est l’achat d’une vie. Faite sur mesure, elle coute entre 650 et 700 euros pour un avocat. La tenue de juge, demande plus de travail. Son prix démarre à 850 euros.
Selon la fonction, chaque robe est différente en termes de couleur, rouge ou noir Les robes noires sont portées par les avocats, les greffiers, mais aussi les juges lors d’audiences ordinaires. Le rouge est arboré par les procureurs et les juges lors d’affaires criminelles. Les ornements diffèrent aussi. Les avocats ont des robes très sobres. Par-dessus cette longue robe noire, une bande de tissus orne l’épaule, l’épitoge, qui peut être blanc ou rouge. Elles sont ornées d’hermine partout en France, sauf à Paris. Les procureurs ou les juges ont des tenues plus sophistiquées. L’hermine n’est pas seulement sur l’épitoge, mais tout le long de la robe.
Finalement, ces tenues n’ont qu’un point commun : elles comportent toutes trois pièces : une robe, une épitoge et un rabat.
À Paris, il existe une dizaine de petites boutiques spécialisées dans la vente de robes pour les magistrats. Toutes ont leur spécificité, mais un point les relie : le respect du code vestimentaire. Comme une manière de représenter visuellement l’appartenance à un corps. Les robes se doivent d’être identique entre elles. Des personnalisations sont par ailleurs possibles, « on nous demande souvent d’ajouter de la broderie par exemple avec les noms. On le fait, mais très discrètement » raconte Eric Billon.
Aux origines : la monarchie et l’Église catholique
L’habit des avocats et magistrats joue un rôle important. Nathan est étudiant en master de droit pénal à l’Université de Nantes. Son objectif est de devenir juge d’instruction. Pour lui, porter cette robe aura beaucoup de sens: “Je dirais qu’elle représente un signe d’indépendance et de puissance. Avec la robe j’appartiendrai à un corps social, celui des gens de la justice.”
Pour retrouver l’origine de ces tenues en France, il faut remonter au Moyen-Age, une époque où les rois peinent à asseoir leur pouvoir. C’est particulièrement le cas avec les seigneurs féodaux, des hommes très riches et ambitieux qui n’hésitent pas à remettre en cause les sentences des juges. Aussi, pour asseoir leur autorité, la royauté décide d’habiller les juges avec les vêtements du sacre. « C’est pour rappeler aux justiciables qu’il y a un roi en France. », raconte Eric Billon.
Aujourd’hui la monarchie n’est plus là. Mais la tenue est restée. Pour Nathan, elle porte les valeurs du métier. « La robe montre l’attachement à la déontologie, à la fonction. Elle rappelle le serment que chacun a fait, car on la porte dès le premier jour qui suit. »
La robe des avocats reste très sobre, car elle provient des soutanes, ces longues robes noires des prêtres. À l’origine les ecclésiastiques exerçaient cette profession. Depuis, la robe d’avocat n’a beaucoup changé. Les avocats ont l’obligation de porter la robe dans l’exercice de leur fonction depuis une loi en 1971.
Après une année 2020 difficile, les ventes sont reparties de plus belle pour les deux boutiques. « Après le premier confinement, j’ai réussi à m’en sortir, car j’ai un nom. Je suis connue dans la profession et heureusement », raconte la gérante de la boutique du 11e arrondissement de Paris. Pour ces commerçants, l’activité dépend de l’arrivée d’étudiants fraichement diplômés. Et c’est toujours le cas, chaque année.